Le premier moment de la liquidation du mouvement tudiant est le fait des maostes. Il se situe en 1970 lĠuniversit de Nanterre. On y voit lĠorganisation maoste la Gauche Proltarienne faire ce que nĠauraient pas pu russir les groupes dĠextrme droite.
Voici les faits : nous sommes en 1970 la fac de Nanterre. A la rentre de septembre, lĠuniversit tait sous tension. Les halls taient occups par des tables tenues par une multitude dĠorganisations allant de lĠextrme droite la gauche la plus cervele. De violentes bagarres clataient rgulirement, des Ç tribunaux populaires È sigeaient, les cours taient rgulirement interrompus par des Ç prises de parole È dictes par lĠurgence dĠune rvolution imminente. Des cars de CRS, toujours plus nombreux, stationnaient aux entres ; leurs occupants nĠavaient pas le droit dĠen descendre. Ils enrageaient la journe entire sous les quolibets des tudiants qui passaient. LĠatmosphre tait explosive.
Au dbut dcembre le groupe maoste, la Gauche Proltarienne, est arriv avec toutes ses troupes pour organiser un meeting. Les leaders, entours de leurs gardes, sont arrivs vers 14 heures. Sur la pelouse quatre individus masqus avaient pos une nappe et prparaient des cocktails Molotov en faisant semblant de ne pas voir une quipe de tlvision qui les filmait, cache sur les toits. Il tait clair que quelque chose de grave se prparait. JĠtais alors membre du Conseil dĠAdministration de lĠUNEF mais non connu comme tel. Je suis donc parti aux nouvelles. Dans lĠamphi quĠils avaient investi les leaders gauchistes taient la tribune. Geismar tenait un discours vhment et excitait ses troupes au combat. Il y avait un nombre invraisemblable de flics ; il tait impossible que les organisateurs ne le sachent pas. JĠai rapidement rendu compte de ce que jĠavais vu ; aprs une courte discussion nous avons dcid dĠvacuer le campus de crainte que certains ne profitent de la confusion pour nous faire un sort. Pendant que les autres partaient je suis all la fac de lettre o se trouvaient encore certains de nos militants. Je devais les avertir et leur demander de quitter le campus au plus vite. Je venais juste de les retrouver quand les premiers heurts ont clats. On entendait les clameurs et les explosions, de la fume montait. Nous avons quitt prcipitamment le campus en allant lĠoppos, vers la bibliothque.
Le reste, je ne lĠai pas vu, je ne lĠai appris que les jours suivants par les tudiants qui se sont trouvs pris dans lĠaffrontement. Les CRS ont t lchs au moment o les participants au meeting sortaient en masse pour en dcoudre. LĠaffrontement a t bref mais extrmement violent. En peine un quart dĠheure les CRS ont balay tout le campus. Les gauchistes, vrais et faux, se sont rfugis dans les btiments. Des centaines dĠtudiants sĠy sont trouvs pigs avec eux. Les CRS ont alors t regroups au centre du campus et formaient un carr. Il sĠabattait sur eux une pluie de projectiles. Toutes les chaises, toutes les tables ont t casses et leur taient lances des fentres. Cela a dur jusquĠau soir (trs prcisment jusquĠ lĠheure du journal tlvis). A ce moment ils ont reus lĠordre de charger. Les portes ont voles en clat et a a t la cure. Les choses ont si mal tourn que les gardes mobiles ont t appels pour sĠinterposer et calmer la fureur meurtrire des CRS.
On mĠa racont que la rsidence universitaire a t investie. Un jeune qui avait t au lyce avec moi et qui nĠtait pour rien dans cette affaire a vu la porte de sa chambre dfonce. Il a t rou de coups et sĠest retrouv avec le foie clat. Ses tudes se sont arrtes l.
Le lendemain, la fac tait dserte. Il ne restait pas une chaise, pas une table pas un pupitre. Les portes et les fentres taient brises. La fac tait dserte, dvaste. On mĠa dit que quelquĠun avait ouvert des vannes dans les sous-sols et quĠun transformateur avait t inond. Cela aurait pu provoquer un incendie. La prsidence a annonc que tous les cours taient suspendus jusquĠaux vacances de Nol et que le rentre de janvier tait retarde jusquĠ une date indtermine.
Notre runion a t courte : sĠen tait fini des franchises universitaires, il tait inutile de tenter de sĠen rclamer. Depuis le moyen-ge lĠuniversit tait lieu dĠasile, la police ne devait pas y pntrer. Mais comment dfendre cela quand elle tait le lieu dĠune bataille range. Les cours ont repris la mi-janvier dans une atmosphre morne : plus de propagande, plus de tracs, plus dĠinterventions. Les tudiants ne voulaient plus rien en entendre.
Il est clair que la malfaisance gauchiste ne sĠarrtait pas au domaine des ides. Ils ont contribu trs fortement lĠaffaiblissement des organisations tudiantes et rendu ainsi un service remarqu au pouvoir. Aprs le saccage de la fac, les tudiants ne voulaient plus rien entendre. Ils avaient une aversion totale pour tout ce qui ressemblait une organisation politique ou syndicale. Ils voulaient de lĠordre, des vigiles, des contrles. Chaque organisation tait victime de cela proportion de son audience. La plus affaiblie tait lĠUNEF mme si elle ne cessait de rpter quĠelle condamnait les violences et nĠy avait absolument pas particip.
Ainsi affaiblie, coupe de la masse des tudiants, lĠUnef tait prte pour la deuxime tape de sa liquidation : la scission organise par les Trotskystes.
Cela sĠest pass en 1971. Pour le raconter je dois dĠabord camper le dcor : les diffrents groupuscules gauchistes et anarchistes qui sĠtaient disput le contrle de lĠUNEF perdaient toute influence. Les tudiants les supportaient de moins en moins. En janvier, les rocardiens sont mis en minorit et quittent le syndicat (en laissant un norme trou financier). Un congrs doit tre organis pour lire un nouveau bureau. Deux listes sont en comptition : la tendance Ç renouveau È anime par lĠUEC et la tendance Ç unit syndicale È dĠobdience trotskiste. Le rapport est dĠenviron 5 1 cĠest--dire que la tendance Ç renouveau È est cinq fois plus nombreuse que la tendance trotskiste. Elle devait donc lĠemporter et la question est celle de la place de la minorit.
Une runion est organise dans le grand amphithtre de la Sorbonne. Je revois la scne : je suis dans la salle. Un type avec des bquilles est assis ct de moi. Sur la tribune il y a Guy Konopnicki pour la tendance renouveau, entour des deux leaders trotskistes : Serac et Berg. Les deux sont trs lgants, ils ont des airs de cadres suprieurs : costumes anthracites et manteaux bleus, cravates et boutons de manchette brillants. Je mĠtonne quĠils puissent tre tudiants. Ils semblent plus proches de quarantaine que de leurs vingt ans.
Je ne sais rien de Srac. Mais Charles Berg continue faire parler de lui. Son vrai nom est Charles Stobnicer mais il se fait appeler aujourdĠhui Jacques Kisner ; il est rapparu vers 1980 comme producteur de cinma et scnariste. Vous aurez beau chercher, vous ne trouverez nulle part sa date de naissance, ni aucune biographie srieuse le concernant. Il dirige alors lĠAJS qui est la reconstitution dĠune des organisations dissoutes en 68 pour sa particulire violence(le CLER). LĠAJS se prsente comme le mouvement de jeunesse de OCI (lequel se fait appeler aujourdĠhui le POI et se prtend la vritable IVme internationale). Le dirigeant suprme est un certain Lambert (mort en 2008, de son vrai nom Pierre Boussel). Ses partisans le prsentent comme un ancien compagnon de Trotski. En fait cĠest un permanent de FO, quĠil a reprsent la direction de la Scurit Sociale depuis sa cration. (FO a t cre sous lĠimpulsion de la CIA, il faut sĠen souvenir).
Berg est donc la tribune. CĠest un orateur extrmement brillant. Il se lance dans un long discours, commence doucement, puis hausse le ton chaque nouvelle stance pour finir sur un ton vhment, qui passe la fureur quand il se met hurler : Ç on tue, on tue È.
Konopnicki plonge aussitt sous la table et se retrouve entre ses gardes du corps. Le type ct de moi se met faire tournoyer ses bquilles et frappe tous ceux qui sont sa porte. Des coups pleuvent de partout. Nous nous rfugions dans un coin de la salle car les portes sont barres par le service dĠordre trotskiste. Un norme malabar bloque lui tout seul la porte du fond. Cette situation prilleuse mĠa paru durer un sicle.
Pendant ce temps, les trotskistes investissent le sige de lĠUNEF rue Soufflot. Ils font ouvrir le coffre par un serrurier (de leurs amis) et dtruisent les listes dĠadhrents et tous les documents qui pourraient tablir quĠils sont minoritaires, accessoirement ils sĠemparent des espces qui sĠy trouvaient. Ils font paratre un communiqu dans la presse qui prtend que la direction du syndicat leur a t confie
Pour complter son coup de force, lĠAJS a pris la contrle de la MNEF de la mme faon et avec lĠaval, l aussi de la justice. LĠaffaire a t encore plus simple. La runion devait se tenir dans un gymnase de Nanterre. Le service dĠordre de lĠAJS nous en a interdit lĠaccs avec lĠappui des CRS (qui veillaient ce quĠaucune violence ne soit commise !). La suite on la connat et lĠon sait ce quĠils ont fait de la MNEF !
Extrait de La voie de passage du gauchisme au no conservatisme, sur le blog de Michel Lemoine