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[discussions] Un site Web tres instructif

Posté par Emmanuel Lyasse le 19/6.

piece jointe : TEXT/HTML
La page personnelle d'Olivier Rey, http://olivier.rey1.free.fr/
Olivier Rey fut un des penseurs de la "mutation" (hé oui...) de l'U-ID au
début des années 1990, l'auteur entre autres de la fameuse formule "Dans
Comité d'Action Syndical, il y a trois mots de trop.".
Ses analyses rétrospectives ne manquent pas d'intérêt, en particulier sur
l'évolution de l'U-ID depuis et la façon dont ceux qui ont rejeté les
promoteurs de cette mutation s'y sont ensuite totalement ralliés.
La meilleure page, à mon avis: sur le mouvement de 1992 (Souvenir,
souvenir...). Son cynisme, quand il regrette que l'Ennemi n'en ait pas fait
assez pour casser notre mouvement,  est si instructif qu'il finit par être
sympathique. La chute l'est encore plus. Je vous la livre
EL

1992 : un mouvement tristement exemplaire

Après le mouvement Devaquet de 1987, l'UNEF-ID était rentrée petit à petit,
et difficilement, dans une démarche de revendications " positives ".
Il s'agissait de ne plus attendre le énième projet ministériel pour réagir,
mais de formuler des propositions pour l'université.

C'est ainsi qu'autour de 1990, des orientations en matière pédagogique
avaient été élaborées et s'étaient concrétisées sous la forme de
propositions,
rassemblées, me semble-t-il, sous l'intitulé " quatre idées fortes pour une
université démocratique et de qualité ".
Le principe central en était la réorganisation des enseignements sous forme
de " blocs pédagogiques capitalisables ", permettant de privilégier la
pluridisciplinarité, l'orientation et la spécialisation progressives, pour
casser les effets tubulaires des DEUG disciplinaires existants.
Les principaux artisans de ce texte s'étaient d'ailleurs inspirés des leçons
de la rénovation pédagogique avortée de 1983, et avaient largement puisé
dans les
cercles les plus imaginatifs d'universitaires et de syndicalistes qui
travaillent dans le même sens.

De fait, la majeure partie des idées qui ont guidé ensuite pendant 10 ans
l'essentiel des projets de réformes pédagogiques étaient présents.
Rétrospectivement, on peut se demander pourquoi cette initiative a été
largement oubliée, car il n'était pas anodin que le principal syndicat
étudiant soit l'une
des premières organisations en France a poser les jalons en la matière. La
réponse en est pourtant claire.

Ce travail est d'abord resté largement l'¦uvre de quelques individus dans
l'organisation, qui ont ¦uvré dans une quasi-indifférence.
Lorsque Mao Péninou et moi-même avons en effet présenté ce texte dans les
différentes instances du syndicat, nous n'avons pas rencontré de problèmes
majeursŠ mais il était flagrant que le sujet ne passionnait pas grand monde,
ni à l'intérieur de la majorité, ni dans les tendances minoritaires.
C'est une chose de théoriser sur le rôle de proposition du syndicat, c'en
est une autre de se passionner pour un domaine où n'apparaît pas de clivages
"politiques" habituels !

Mais surtout, le " mouvement étudiant " de 1992 est ensuite passé par là.

Une réforme qui arrive bien tard

En effet, en décembre 1991, le ministère lance, à notre grande surprise, un
projet de rénovation pédagogique.
L'UNEF-ID avait plusieurs fois regretté que le ministère Jospin lance de
multiples chantiers fort onéreux (U2000, création des IUFM, monitorat
d'enseignement
supérieur, plan social étudiant, etc.) et ne s'attelle pas aux enjeux
pédagogiques. Fin 1991, la situation politique est assez mauvaise dans le
pays. Mitterrand
a viré Rocard pour mettre Cresson et son septennat bat de l'aile. Nous
sommes alors persuadés que le temps des grandes réformes est fini, et que
l'heure est
à la gestion et la préparation des législatives qui s'annoncent déjà
difficiles.
Autant dire, qu'on ne s'attend pas à ce que Jospin risque de se lancer dans
une entreprise périlleuse alors qu'il y a déjà tant de dossiers ouverts à
négocier.

Mais bonŠ
Sous l'impulsion de Claude Allègre, conseiller spécial, Francine Demichel,
alors directrice adjointe de la DESUP envoie aux membres du CNESER ces
projets
d'arrêté qui font bien office de réforme (même si le Ministre ne veut pas
employer le mot).

Or, il se trouve que ces projets correspondent largement aux orientations de
l'UNEF-ID, (pluridisciplinarité, modules pédagogiques, capitalisationŠ), ce
que ses
représentants ne manquent pas d'expliquer au ministère.

D'ailleurs, dans un premier temps, personne ne s'en inquiète.
L'UNEF-ID réunit un collectif national en janvier, et tous les ténors de
l'organisation sont plus soucieux de polémiquer sur une manifestation
nationale contre le
racisme organisée à la fin du mois que de discuter des orientations
pédagogiques. Dans ce contexte, les orientations de l'UNEF-ID de soutien
critique au
projet ministériel (avec quelques réserves habituelles) passent comme une
lettre à la poste.

Et puis, dans les semaines suivantes, voilà que les citadelles
disciplinaires découvrent avec horreur le contenu des arrêtés .

Les discipines sonnent la révolte

Pour ceux qui ne connaissent pas l'université française, il faut rappeler
que l'une des activités principales des universitaires traditionnels -
surtout en sciences
humaines- consiste à se battre pour avoir " sa " filière, "son" diplôme, et
de construire des murs bien épais autour pour être à l'abri des autres et
développer
librement " sa " discipline.
La boussole prépondérante, c'est la logique académique : sans leur pré-carré
disciplinaire institutionnellement consacré, nombre d'universitaires se
sentent
tous nus.
L'orientation des étudiants, leur devenir professionnel ou leur suivi
pédagogique compte peu au regard de cette exigence profondément ancrée dans
la
culture de l'homo academicus depuis des dizaines d'années.
Or, les fameux arrêtés veulent justement en finir avec le cloisonnement
disciplinaire et entendent notamment regrouper nombre de formations pointues
de
premier cycle, qui sont en fait le plus souvent des projections " vers le
bas " de spécialités dont le centre de gravité est situé du côté des seconds
ou
troisièmes cycles.
Pour les initiateurs de la réforme, il s'agit donc d'éviter que des
centaines d'étudiants se précipitent dans une première année de psychologie
ou de
communication, alors que seuls une poignée d'entre eux ont vocation et envie
de continuer une spécialisation réelle dans cette discipline ultérieurement.

Ceci est naturellement inacceptable pour nombre de mandarins, qui
n'entendent pas remettre en cause leurs habitudes et ont déjà très mal vécu
la création
des IUFM (la préparation au CAPES est en effet souvent le seul débouché
concret de nombre de formations en sciences humaines).

Petit à petit, à partir de la fin janvier, on voit donc s'agiter un certain
nombre de filières "contre la réforme Jospin ". Sauf rares exceptions, les
filières
scientifiques se tiendront à l'écart de l'agitation. Il faut dire, qu'elles
connaissent déjà des premiers cycles pluridisciplinaires.

Dans la plupart des cas, ce sont les profs qui sont à l'initiative de "
l'information " de leurs étudiants, de façon souvent assez lapidaire : " on
veut supprimer
votre filière ".
Les étudiants français acceptant assez facilement leur condition
moutonnière, toute parole du prof est considérée sacrée, même si c'est le
même prof qui
organise l'échec massif en fin d'année.
Le " mouvement " se développe donc de façon très articulée à certaines
filières, et reste de ce fait relativement modeste. Mais, dans une France
encore
durablement marquée par le mouvement contre le projet Devaquet, et toujours
prête à s'enflammer de jeunisme approximatif, il suffit de 300 étudiants
dans la
rue pour faire la une du quotidien régional.
Quand on arrive à 10 000 étudiant dans le quartier latin, c'est carrément la
une de Libé et du Monde qui est consacrée à la colère étudiante !

C'est ainsi qu'on découvre dans les rues des cortèges parfois assez
comiques, avec des étudiants BCBG de l'ENS Paris déclamant des textes en
latin (si !),
avec des banderoles à Clermont proclamant " sauvons le russe ", et autres
joyeusetés.
A Paris (donc en France !), la contestation trouve son quartier général
insurrectionnel dans l'UFR d'arts plastiques de Paris 1, au centre St
Charles. Les
avantages sont évidents : les étudiants en question savent épouser les
canons de la médiatisation (ils savent faire des banderoles et des mises en
scène qui
marquent!) et il y a suffisamment de culture libertaire pour épouser le
répertoire contestataire traditionnel.

Comment réagit l'UNEF-ID ?

Dès les premières " AG ", c'est l'affolement pour bon nombre de militants.
Beaucoup d'entre eux vivent dans le culte du " mouvement " et ne conçoivent
pas de ne pas être aux côté des étudiants " en lutte ", quel que soit le
motif de
la lutte en question.
Le fait même de ne pas être " avec " les étudiants dans l'amphithéâtre de
mobilisation, quand bien même le dit amphi ne rassemblerait que 60 personnes
sur
une université de 18 000 étudiants, provoque un blocage mental. Certains, de
bonne foi, iront même jusqu'à téléphoner au BN pour décrire des
amphithéâtres contenant une bonne centaine d'étudiants de plus que cet amphi
ne pourrait physiquement en contenir, même debouts !
Pour les militants de Julien Dray ou de la LCR, la question ne se pose pas :
il faut être de toutes façons avec les étudiants qui "bougent".
Pour une grande part de militants de la Majorité syndicale, le recul
critique cède facilement devant l'irrésistible besoin d'être dans le mouv'.
J'ai ainsi vu des " cadres " militants de Paris 3 (Censier) expliquer
l'impossibilité ne pas être contre le projet du ministère qui prévoit la
disparition du DEUG
communication local (LAEC), après m'avoir expliqué pendant deux ans que ce
DEUG est " nul " et qu'il fallait demander sa disparition !

On peut comprendre les états-d'âme du militant confronté à la pression dans
son université, car les 300 contestataires auront toujours plus de poids que
les
10 000 silencieux.

Hélas, les cadres " nationaux " du bureau national ne brilleront pas non
plus par leur autonomie de comportement en la matière.
Entre couardise, profil-bas, volonté larvée ou assumée de rejoindre les
rangs de la contestation, un certain nombre se révèleront incapables de
définir une
position indépendante du dernier mot d'ordre lancé à la tribune de la
dernière assemblée générale.
Des responsables qui ne s'étaient jamais distingués par leur intérêt pour
les questions pédagogiques se précipitent pour décortiquer les projets du
ministère et
y trouver d'affreux dangers potentiels à dénoncer toutes affaires cessantes.
Les propositions officielles du syndicat, qu'ils ont voté quelques semaines
auparavant, sont bien sûr soigneusement enterrées et oubliées.
Comme il fallait bien quand même sauver les apparences et ne pas reprendre à
son compte les positions manifestement peu ouvertes des AG, on expliquera
que l'enjeu est de donner un contenu " progressiste " au mouvement, et que
la condition pour ce faire est de l'intégrer.
Pour qui connaît l'alchimie d'une AG à 2 heures du matin, avec toute la fine
fleur de l'extrême-gauche étudiante au premier rang, on imagine la subtilité
de ce
type d'opérationsŠ

Deux instantanées :

- Paris 1 , assemblée d'information convoquée par le directeur de l'UFR, la
section locale de l'UNEF-Id et l'UNEF-SE ( !). Le directeur explique devant
une
soixantaine d'étudiants (dont environ 20 militants extérieurs dont moi-même)
que les IUFM sont une escroquerie de pédagogues incultes destinée à briser
l'excellence de la préparation CAPES de l'université, et qu'il n'enverra
jamais son fils dans ces lieux de médiocrité. Il est chaudement applaudi par
les militants
présents dans la salle, de Lutte Ouvrière au CELF (une officine UDF de
l'époque). Il faut dire, que ce discours digne du courrier des lecteurs du
Figaro est
tenu par un éminent membre du SNESupŠ

- St Charles ; énième réunion de la " coordination ". Devant les 150 à 200 "
étudiants " présents, je m'efforce de défendre un militant de Paris 1 (Boris
Rubinstein) dont Carine Seiler demande le retrait de la salle au motif qu'il
n'est pas " mandaté ".
L'objectif pour nous est d'éviter que ne s'auto-désigne une " coordination "
représentative, alors que la plupart des présents ne sont mandatés que par
des
réunions d'une poignée de contestataires, pas plus représentatifs que
n'importe quel élu étudiant. Il s'agit de faire de telle sorte que cette "
coordination " ne
soit pas assimilée aux " coord " de 1987.
Sylvie Rémi, alors membre du Bureau national met lance alors des coups de
pieds dans le dos pour m'empêcher de parler, en tout fraternité bien sûr.
Le reste du temps, Sylvie fait partie des militantes qui n'a de cesse de
professer le " patriotisme " d'organisation et la fierté du drapeauŠ
Quant à Carine Seiler, membre de la gauche socialiste, elle deviendra
quelques années plus tard présidente de l'UNEF-ID et promouvra des
propositions de "
révolution pédagogique ", pour l'essentiel calquées sur les propositions que
nous avions faites en 1991Š et qu'elle combattait alors.

En fin de compte, le président du syndicat, P. Campinchi, avec l'aide  d'une
poigné de responsables, suscitera la création d'une coordination unitaire de
Province qui, bien que procédant pour l'essentiel de membres de l'UNEF-ID,
suffira à disloquer la "coordination nationale" officielle, qui révèlera
alors sa vraie
nature, à savoir une agrégat de militants de toutes tendances pas plus
représentatifs que les autres.
Une partie de la majorité ne pardonnera jamais à Campinchi d'avoir fait,
dans leur dos, la démonstration par l'absurde de la fragilité de ce
mouvement.

Dix ans de perdus.. mais pas pour tout le monde

Néanmoins, les résultats de ce mouvement seront amers et tristement
exemplaires, à la fois d'un certain archaïsme de l'université et du manque
de maturité du
syndicalisme étudiant.

Les projets du ministère seront retirés, et le ministère Jospin durablement
touché sur ce qui constituait pourtant (et qui apparaît aujourd'hui encore
mieux)
comme l'un des secteurs de l'éducation où les progrès avaient été les plus
appréciables. Les fiefs disciplinaires sortent intacts, voire renforcés, de
la crise.
Lang reprendra les aspects les moins intéressants de la réforme un an plus
tard, et Bayrou reprendra à son tour en 1997 les principes de
capitalisation/compensation dans les " unités d'enseignement ", tout en
évitant soigneusement de toucher aux frontières disciplinaires, ce qui
explique en
même temps l'absence de contestationŠ et les limites de la réforme 1997 dont
le bilan est jugé rapidement maigrichon.

Les étudiants ont été utilisés comme " chair à canon " par quelques
enseignants, démontrant encore une fois le caractère encore infantile des
relations entre
profs et étudiants dans notre pays. L'évaluation des enseignements, on en
parlera une autre foisŠ

L'UNEF-ID a fait la démonstration de son incapacité à se comporter comme le
grand syndicat étudiant qu'elle veut être : à la première rafale étudiante,
les
orientations de fond sont balayées par des militants qui oscillent à la
moindre brise et ne conçoivent pas d'autre attitude que le suivisme de toute
agitation.
Comment prétendre ensuite négocier sérieusement ?

En interne, un certain nombre de cadres de la majorité ont démontré qu'ils
sont immergés dans une culture des années 70 et n'ont qu'une adhésion
superficielle aux volontés de mutation pourtant officielle de
l'organisation. Les germes de la révolution de palais qui interviendra un an
plus tard sont déjà là.
Certains le disent. Ils ne seront pas écoutésŠ

En guise de chute

En 1997, les commentateurs ont présenté les arrêtés Bayrou comme la reprise
en plus soft de la réforme Jospin de 1992.
Pouria Amirshahi et Carine Seiler les présenteront, pour leur part, comme
une " grande victoire " de l'UNEF-ID et une conquête majeure du mouvement
étudiant, après avoir n'avoir de cesse d'avoir dénoncé la position du
Président de l'UNEF-ID en 1992 comme une capitulation honteuse devant
Jospin, qui
démontrait le manque d'indépendance du syndicat.
François a décidément une grande force de convictionŠ