EMMANUEL LYASSE
Runification: parlons en !
Alors que cela fera vingt ans ces jours ci qu'il n'y a plus qu'une UNEF, il semble dcidment impossible de discuter des vnements qui ont conduit cette situation et de leurs consquences autrement qu'entre ceux qui furent les adversaires de ce qu'on a appel runification. C'est bien dommage. Il y a d'un ct une version officielle, que l'UNEF, divise depuis 1971, s'est heureusement runifie, qui est brandie, mais jamais taye d'aucune faon. Il y a d'autre part tous les documents, tous les tmoignages, tous les commentaires que nous avons publis sur unef.org depuis vingt ans, qui n'expriment qu'un seul point de vue, le ntre, et ne sont jamais discuts par ceux qui taient, et semblent toujours, en dsaccord avec nous, qui s'en tiennent nous mpriser, hors quelques-uns qui prtendent parfois nous faire taire.
Une histoire incomplte
Cela nous condamne n'avoir qu'une histoire tronque, crite d'un seul point de vue, avec certes peu prs tous les textes qui ont t publis partir de dbut 1999 par la direction de l'UNEF pour exposer, expliquer, justifier, sa dmarche, mais sans aucun tmoignage ou commentaire permettant de les clairer.
Il est dcidment regrettable que les camarades qui ont t partisans de l'unification entre l'UNEF et l'UNEF-ID (de la runification si on considre qu'il s'agissait de rtablir une unit antrieure, ce qui n'est pas vident, puisque les deux UNEF de 1971 ont pouss sparment sur le cadavre de l'ancienne) ou du moins de la cration d'une organisation nouvelle unifiant le mouvement tudiant bien au-del des deux UNEF (a a t, mais tout le monde semble l'avoir oubli, la position officielle de la direction de l'UNEF jusqu' l'avant-dernire seconde, qui refusait obstinment de parler de runification quand l'U-ID ne parlait que de a) ne s'expriment pas, n'expliquent pas leurs motivations, leur volution ce sujet, ni les nuances qui pouvaient exister ventuellement entre eux (qu'on croit apercevoir dans les textes, mais qu'on ne peut prtendre comprendre).
Il ne s'agit pas, on le rpte une fois de plus, de rejouer les discussions d'alors, de reprendre un affrontement qui n'a plus lieu d'tre, mais d'essayer de comprendre, avec le recul, quelles taient les positions des uns et des autres, en les considrant comme toutes galement lgitimes, comment elles se sont confrontes, et, galement comment on peut les voir aujourd'hui avec le recul, le rsultat tant connu.
Il n'y a pas eu d'unification
Sur ce point, il me semble qu'il n'y a pas de place pour le dbat. Autant il y aurait lieu de discuter des raisons qu'avaient les uns et les autres d'tre pour ou contre la runification (ou formules alternatives varies), autant je ne vois pas comment on pourrait prtendre srieusement qu'elle a eu lieu. En 1999, au dbut du processus, les deux UNEF taient trs diffrentes quant leurs statuts, leur fonctionnement, leurs revendications, leurs pratiques. Je ne crois pas qu'on puisse trouver (je veux bien qu'on me dise que je me trompe, si on me dit pourquoi) le moindre apport de ce qu'tait la ntre dans la runifie qui est apparue pour la premire fois sur les chaines d'inscription en juillet 2001. Ses statuts taient exactement ceux de l'U-ID, jusqu'au moindre dtails, ses revendications celles de l'U-ID, ses pratiques et son fonctionnement ceux de l'U-ID, sa direction (prsident, secrtaire gnrale, trsorier) celle lue par le congrs de l'U-ID en avril. On peut ajouter que ses tendances et sous-tendances sont restes exactement les mmes: les militants de la LCR et leurs sympathisants qui taient encore officiellement l'UNEF jusqu'en avril sont alls logiquement dans celle contrle par la LCR, sans rien y changer, sans d'ailleurs augmenter son influence, les trs rares autres de notre UNEF qui ont rejoint la runifie se sont fondus dans la majorit de la majorit (alors, pour trs peu de temps encore, infode Julien Dray). La rpartition des AGE entre tendances est reste galement la mme (Les adhrents des seules AGE de l'UNEF rellement attestes avoir rejoint la runifie en juin 2001, Clermont et Paris VIII, ont t minoritaires dans les AGE unifies). Le premier congrs de cette UNEF aprs juin 2001, qui s'est tenu en mai 2003 seulement, a repris la numrotation de ceux de l'UNEF-ID, en tant le 78e de l'UNEF, alors que la ntre avait tenu son 78e en 1997, un 79e en 1999, peut-tre un 80e Orsay en 2000, sans parler du dernier de juin 2001. Si on avait cru la runification il aurait fallu lui donner le numro cinquante-neuf, en considrant que tous ceux tenus par les deux UNEF depuis Orlans n'taient que partiels, si on avait voulu croire la nouvelle organisation, repartir un. Une solution de facilit aurait t de retenir le dcompte de celle des deux UNEF qui avait tenu le plus de congrs, la ntre donc. Ils ont trouv beaucoup plus simple, faire comme si nous n'avions jamais exist, et afficher ce qui tait vrai: qu'il n'y avait pas eu d'unification, et que leur UNEF tait l'UNEF-ID avec en moins les deux lettres qu'elle s'tait ajoutes en 1980.
Un chec gnral, commun
On aurait pu alors soutenir qu'il tait prfrable, mme si c'tait l'autre, qu'il n'y et qu'une seule UNEF, unie pour dfendre les tudiants, mme si c'tait l'autre, que deux s'affrontant, et qu'il avait t lgitime de sacrifier la ntre l'unit du mouvement tudiant. Cette position tait tout fait lgitime, si bien sr on considrait que l'UNEF-ID dfendait les tudiants. Mais le rsultat n'est pas plus satisfaisant. Loin de profiter de son monopole, l'UNEFexID n'a d'abord, au mieux, que stagn, (on passera pudiquement sur le bluff du CPE et la mauvaise plaisanterie du centenaire UNEF indispensable depuis cent ans) avant de s'effondrer au point d'tre depuis quelques annes supplante par les corpos. En 2000, les deux UNEF taient presque elles deux le mouvement tudiant, toujours absolument majoritaires au CNESER malgr un systme lectoral avantageant les corpos et l'UNI, toujours videmment majoritaires au CNOUS et dans presque tous les CROUS. Non seulement la seule subsistant n'a pas retrouv le total des deux (ds 2000, la liste unique n'avait que cinq lus sur onze au CNESER), mais elle a fini par en avoir beaucoup moins. On pourrait se demander longuement, et a ne manquerait pas d'intrt, si son monopole a contribu cet affaissement, et dans quelle mesure. Un fait est certain: il ne l'a pas empch.
Il est donc clair, ce qui semble expliquer que la version officielle, si elle est affirme, parfois avec violence, ne soit jamais argumente, que le processus qu'on appelle en gnral runification parfois autre chose, s'est termin, de quelque point de vue qu'on prenne la chose, par un chec total. Il va de soi que cet chec n'est pas seulement celui de ses partisans d'alors: ceux, dont j'tais, qui ont prtendu maintenir notre UNEF, ceux qui, avec la FSE ou Solidarit tudiante, ont cru pouvoir crer une organisation nouvelle contre la runifie, ceux qui ont choisi de se replier sur un syndicat exclusivement local n'ont certes pas mieux russi. Les tenants de chacune des quatre options ont pu soutenir que la leur tait la bonne, et qu'elle aurait rencontr le succs qu'elle mritait si tous les autres avaient suivi. C'est arithmtiquement juste, mais n'apporte pas grand-chose au dbat historique. L'intressant serait d'expliquer cette explosion d'une Union nationale qui semblait solide encore en 1997, qui l'a condamne disparatre sans laisser d'hritiers. Nous avons pour cela des documents en abondance, puisque presque tout a t conserv et publi, mais ils n'auraient d'intrt qu'clairs par des tmoignages et des analyses venant de tous les camps alors en prsence, ventuellement de ceux qui, n'tant plus tudiants, auraient alors jou un rle dans l'affaire. Pour le moment, il n'en vient que d'un seul: c'est dcidment dommage.
20 juin 2021.
Initialement publi sur le groupe Facebook C'tait l'UNEF,
puis dans le bulletin Unef.orgInform, numro 5.
Une question annexe
Il n'y a pas eu de runification , ni quoi que ce ft du mme genre. Je ne vois pas comment on pourrait le contester, quand on examine les documents et qu'ils rvlent les faits. C'est mme un peu trop vident pour en pas tre surprenant.
Le fait ne me surprend pas. La raison premire de mon opposition tait que j'tais convaincu qu'il tait impossible de fusionner deux organisations si diffrentes, l'une reposant sur le centralisme bureaucratique officiellement corrig par le droit tendance (j'tais de ceux qui pensaient que cela l'aggravait plutt), l'autre sur le fdralisme. On ne peut pas, on l'apprenait jadis l'cole primaire, additionner des choux et des carottes. Le rsultat a t celui que j'avais prvu. Mais avec le recul, je m'tonne ( l'poque, bien sr, a m'arrangeait) qu'on n'ait mme pas essay de faire semblant, qu'il s'agt des statuts, de la direction nationale, des directions d'AGE. La maison d'en face semblait pourtant tenir sa runification, son grand projet depuis 1995, au point de revenir la charge aprs les deux checs des automnes 1999 et 2000 (le second fracassant), et d'accepter finalement des noces la sauvette en juin 2001. Il est dcidment curieux qu'elle ait alors objectivement tout fait pour afficher que le mariage tait blanc.
Il ne lui aurait pas cot trs cher, par exemple, de laisser aux anciens de l'UNEF Paris VIII et Clermont (o ils taient certainement majoritaires) et ventuellement une troisime sans importance, leur donnant le droit thorique de constituer une tendance (pas pour le faire, mais pour qe leur ralliement la majorit parut librement dcid).
S'agissant des statuts, il n'y avait videmment pas de compromis possible entre deux modes d'organisation totalement diffrents. Mais fallait-il vraiment recopier mot pour mot ceux de l'U-ID pour souligner la plaisanterie ? N'aurait-on pu, quand mme, modifier certaines appellations, et marginalement certaines procdures? Par exemple, une des diffrences tait l'existence en face, entre le BN et le CN, de la commission administrative, qui ne servait rien en tant que telle, ne se runissait jamais, mais permettait de maintenir l'quilibre entre tendances au CN. Il n'aurait pas t difficile de lui trouver un autre nom, voire de la renommer BN en crant au-dessus un secrtariat correspondant l'ancien BN, ce qui, sans rien changer, aurait t prsent comme une concession l'UNEF. Mme pas. Autre diffrence, significative mais facilement neutralisable, les AGE chez nous avaient deux reprsentants chacune au CN, chez eux un seul. Ils n'auraient couru aucun risque, vu le poids de la CA (ou de ce par quoi elle aurait t remplace) faire un beau geste dmocratique en adoptant notre manire. De mme, le systme de calcul des mandats de congrs par AGE par l'U-ID, en vigueur depuis qu'ils avaient aboli le systme encore plus rigolo de l'attribution des mandats par comit d'action, tait aberrant, qui attribuait chacune un nombre de voix calcul par l'addition de son nombre de cartes sur deux annes et du nombre de votants au congrs. S'il tait exclu de le remplacer par un systme honnte (Une pense amuse pour tous ceux qui, Gal Quirante et Manuel Canvet en tte, ont dclar solennellement et rptitivement Orsay que si la runification ne se faisait pas sur le principe Un homme, une voix, un mandat , ils n'en seraient pas, bien sr, et en ont t, bien sr), il aurait t facile d'imaginer un systme aussi crapuleux, mais diffrent, fin de montrer qu'on ne recopiait pas les statuts de l'U-ID. Ils ont recopi. Enfin, pour ce qui est de juin 2001, la reconduction du trio de direction Fichtali Assouline Thibault lu par le dernier congrs de l'UalorsID tait un aveu largement suffisant, fracassant, mme, mme si on leur ajoutait un vice-prsident alors anonyme. La moindre des choses aurait t de donner le secrtariat gnral un venu de l'UNEF, en restreignant ventuellement et discrtement ses attributions. Deux ans aprs, le coup de la numrotation des congrs tait un dernier crachat la figure de qui avait pris au srieux la runification , confirmant qui aurait pu en douter que la seule UNEF qui restt tait toujours l'UNEF-ID.
Il serait historiquement intressant de savoir comment et pourquoi on en est arriv l. L'UNEF-ID semble avoir, aprs avoir mendi pendant des annes la runification, pitin totalement notre UNEF, jusqu' presque nier son existence. tait-ce dlibr, ou par inadvertance ? On aimerait bien savoir aussi ce qui s'est dit dans les ngociations entre elle et la direction de l'UNEF, auxquelles nous n'avons bien sr pas du tout t associs. La direction de l'UNEF a-t-elle accept spontanment le recopiage des statuts de l'U-ID ? Le lui a-t-on impos ? Comment ? De mme, s'agissant des AGE, tait-ce un choix dlibr de n'en garder aucune, et donc de disparatre, ou une exigence de ceux d'en face ? On ne peut quand mme envisager qu'on ait cru pouvoir pour cela s'en remettre aux urnes, sans ngociation pralable: il aurait fallu ignorer totalement ce qu'tait l'U-ID. Bref, est-ce dlibrment que l'U-ID a tout fait pour achever de discrditer sa runification laquelle elle semblait pourtant tenir ? Est-ce volontairement que la direction de l'UNEF ne l'en a pas empche ? A-t-elle essay en vain ? A-t-elle t trompe ? On aimerait pouvoir rpondre ces questions.
EL (sur le groupe Facebook)